Crier Pleurer Penser un monde meilleur

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Mon grand père

Le 23/11/2013

 

Mon grand père

 

Etrange. Voilà que me prends l’envie de te parler d’un mec que j’ai à peine connu : Mon grand-père maternel. L’autre je ne l’ai pas connu.

 

A peine parce que quand il a déménagé d’ici-bas j’étais pas trop grand. Assez pour comprendre pas assez pour dire que je l’avais connu.

 

C’était un ouvrier et un saint homme. Rouge comme pas possible. Toujours sapé comme un milord. Comme souvent les gens qui ont connu la pauvreté et qui ont sorti la tête de l’eau.  Costume et chaussures impeccablement brillantes. Son père à lui était cordonnier, alors des pompes ça se respecte, mazette !!

 

D’ailleurs quand nous allions chez lui le Dimanche, l’inspection commençait toujours par les chaussures qui devaient être impeccablement lustrées, sous peine devoir sortir du placard la brosse et le cirage Kiwi. Les lacets devaient être parfaitement noués avec deux boucles d'égales longueurs. Non d'un p'tit bonhomme.

 

Puis venaient les mains. Comme généralement elles étaient pas blanc bleu, elles devaient passer sous le robinet. Il prenait nos menottes dans ses grosses mains calleuses et les frottait avec une infinie douceur au savon de Marseille avec un bon coup de brosse pour nous faire des ongles bien blancs.

 

Une fois ces pénibles épreuves initiatiques passées, nous pouvions caresser l’espoir de manger. Comme d’hab. Radis, et saucisse cuite. Roastbeef haricots verts, la tomme, puis dessert : œuf à la neige.

 

Mon grand père est mort en 197X et des brouettes. En fait il était mort longtemps avant, vers 25 ans lors d’une crise de rhumatismes aigus mais il n’en savait rien. A l’époque pas de cortisone alors ça lui a bouffé le cœur.

 

Il était mécanicien ajusteur. Un métier de précision. D’ailleurs j’ai toujours ses outils dans une petite  boîte en bois. C’est un métier qui n’existe plus. On fait tout maintenant sur les machin(e)s numériques.

 

Il avait aussi la particularité d’être le mari de ma grand-mère. Etonnant non ? Lui et son frangin, sur leurs motos, des Terrots, écumaient les balloches des villages environnants le samedi soir. Et puis mon grand père faisait valser les filles sur une table de bistrot. La valse à l’endroit et à l’envers s'il vous plaît. Bref Marlon Brando quoi ? C’est comme ça qu’il a emballé ma grand-mère. Il était fondu de mécanique. Il est mort en astiquant sa dernière voiture. Un AMI8 de chez André Citroën.

 

Il avait aussi été transporteur. Il avait un camion et il transportait je crois du bois et du charbon. C’était avant la guerre. Puis la guerre est arrivée et il a continué à transporter des trucs. Mais plus les mêmes. Il allait chercher les parachutages dans les montagnes, flingues, explosifs, frics et les rapportait à ceux qui savaient quoi en faire. Il n’y a pas de sot métier. Puis un jour les allemands ont trouvé que c’était pas cool alors ils lui ont cherché noise. Il a du du se barrer un peu dans les montagnes histoire de prendre l’air. C’était bon pour son cœur et ça lui évitait du même coup de se faire fusiller. C’est toujours ça.

 

Ma grand-mère pour éviter que sa fille ne raconte de vilaines choses à dit à ma mère : « Alors voilà écoute bien : Ton papa est un homme méchant qui m’a quitté pour partir avec une autre femme ».

 

Il venait voir sa femme, des fois, la nuit jusqu’à la fin de la guerre du moins tant que la situation dans les montagnes l’a permis. Jusqu’à ce que ça barde vraiment. Tu sais là où aujourd’hui dans les bois tu croises de jolies stèles sur lesquelles sont marqués les noms de jeunes gens dont tu n’as plus grand-chose à faire.

 

Il était pas taquin pour un sou mais voilà. Lui, son frangin (qui avait été pris dans le bordel de la ligne Maginot)  et son beau-frère (évadé d’un stalag) devaient trouver ennuyeux de se faire chier dans les bois à cause de connards qui parlaient pas le même patois et qui marchaient comme des cons au pas de l’’oie. Mon grand-père était un homme très doux mais les deux autres étaient des teigneux. Alors tant qu’à se faire chier autant casser du vilain. Ce qu’ils ont fait je crois.

 

Mon grand-père n’en a jamais parlé. Même pas un mot. Quand la guerre a été finie, il a pas trop aimé ce qui s’est passé. Surtout quand un de ses bons potes s’est pris une balle dans la tête de la part de résistants de la onzième heure sous prétexte qu’il aurait été collabo. Son seul tort, à ce brave homme était, d’avoir une très jolie femme, dont le petit chef local de la résistance, et que personne n’avait jamais vu dans les bois, était tombé amoureux.

 

Alors lui, son frangin et son beauf, ils ont rangé leur Stens bien graissées dans des chiffons huilés : « on sait jamais ». Et ils sont allés se faire embaucher à l’usine. Les stens, mon frère les a trouvées de nombreuses années après chez la mané. Toujours en bon état. « On sait jamais ».

 

Une fois, pas très longtemps avant sa mort,  alors qu'il me montait comment on rabote une planche, je suis tombé sur un tas de chiffon dans la remise. Et dans ces chiffons il y avait des trucs un peu lourds et brillants. C’était des fusils Mauser allemands. Je suppose que les soldats à qui il les avait pris devaient pas être trop d’accord. Moi je lui ai demandé comment il les avait eu. Il m’a répondu que c’était pas mon affaire. Et il n’avait pas tort.

 

Ensuite petite vie peinarde, entre ses lapins ses poules (celles qui font des œufs) et ma grand-mère.

 

Le temps a passé. Il n’était plus là et voilà que la vie m’amène à rencontrer une  autre sorte de résistant. Un de la variété « Historique ». Pour celui-ci respect aussi. Sans aucun doute il avait fait ce qu’il fallait quand il le fallait. Mais j’ai pas bien aimé quand un beau jour il m’a demandé, alors que nous parlions du maquis : « mais comment s’appelait votre grand-père ?». Je lui ai dit son nom et sa seule réponse a été « Jamais entendu ce nom ! ». Avec un air légèrement soupçonneux. Franchement j’ai eu les boules et d’une certaine façon je les ai encore.

 

Pour tout te dire. J’ai pas grand-chose à foutre de ce qu’on fait tes grands parents en cette époque troublée. Tiens écoute cette chanson. Comme elle le dit, qu’est-ce que j’aurais fait moi ? Comme Anouilh le fait dire à l’un de ses personnages, en l’occurrence Thomas Beckett : « Nul ne connait son vrai courage avant l’heure de sa mort ».

 

Je pense que c’est déjà bien de ne pas avoir collaboré. Avoir résisté est sans doute un luxe que tous n’ont pas nécessairement eu les moyens physiques, moraux ou psychologiques d’assumer. Par contre ce qui m’insupporte c’est de faire une gloire de ce qui au fond n’a été qu’un devoir.

 

Alors les honneurs des uns ont fait le mépris des autres. Je sais c’est un peu « Hard » comme point de vue mais à bien y réfléchir. Qui a eu raison ? Je ne sais pas. Pour moi. Celui qui a encaissé sa peine et ses souffrances. Celui qui a fermé sa gueule à tout jamais et, sans autre formes, est parti à l’usine, celui-ci ne vaut-il pas au moins autant que celui qui, bardé de ses vertus tricolores, est allé chercher les honneurs, les postes et les relations ?

 

Ils sont tous morts. Que la paix soit sur eux.

 

Voilà. Je t’ai parlé de mon grand-père. Avec un peu de chance ce texte restera longtemps sur un quelconque serveur et peut-être quelqu’un le lira donc dans longtemps. Peut-être même après moi. Et comme ces mots parlent de lui, alors il restera quelque chose de lui.

 

Je suis certain que tu t’attends à ce que je te mette la chanson du partisan. Et bien non.  Ecoute plutôt celle-là plus en rapport avec ce que j’ai écrit plus haut. 



23/11/2013
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